jeudi 5 novembre 2009

Entretien avec la militante palestinienne Leïla Khaled

Leila Khaled est devenue une icone de la lutte palestinienne en 1969, lorsqu’à 24 ans, elle faisait partie du dispositif du Front Populaire de Libération de la Palestine qui a planifié le détournement d’un Boeing 707, le premier d’une série d’actions d’envergure destinées à mettre les Palestiniens sur la carte politique. Elle faisait partie du groupe qui a détourné le vol TWA Los Angeles-Tel Aviv en 1969 après être monté dans l’avion pendant une escale à Rome et l’avoir contraint à se rendre à Damas, où ils ont fait évacuer les 116 personnes présentes à bord du Boeing qu’ils ont fait ensuite sauter.



Elle a participé ensuite à une tentative de détournement d’un vol El Al Amsterdam-New York l’année suivante, mais a été arrêtée et remise à la police britannique après que le vol soit dérouté sur Londres. Elle a été libérée le 1er octobre 1970 lors d’un échange de prison de prisonniers.
"Héroïne de la guérilla”, comme l’a appelé le Time Magazine en 1970, Khaled a été chassée de sa maison d’Haifa lors de la création d’Israël. Elle est restée un dirigeant de premier plan de la gauche palestinienne, et une porte-parole déterminée de la lutte pour les droits palestiniens.

Elle répond aux questions d’IPS depuis sa maison, à Amman.

IPS : Peut-être pouvons-nous commencer par le Rapport Goldstone sur l’invasion à Gaza, et en particulier sur les retombées politiques du rôle de Mahmoud Abbas dans le retard du débat sur le rapport à Genève.


Leila Khaled : Nous avons déclaré que c’était une erreur politique – une grosse erreur. Ce n’est pas seulement une erreur tactique. Nous avons demandé une enquête complète. Qui a donné les ordres de report du débat ? C’est un rapport des Nations Unies. Il a fallu des mois pour le finaliser. Nous aurions dû l’accepter directement, parce qu’il dénonce l’invasion et tous les actes qui en ont résulté – au point qu’Israël devrait être présenté devant la Cour Pénale Internationale pour inculper les criminels de guerre, que ce soit au niveau politique ou militaire.

IPS : Quelle est votre réaction à l’invasion de Gaza en général ?


LK : Ce n’est pas nouveau. Ce n’est pas la première fois. Mais aujourd’hui, nous avons une opportunité d’inculper les criminels de guerre.

IPS : Au sujet du conflit entre le Fatah et le Hamas, quelle est votre réaction sur ce qui s’est passé à Gaza en 2007, mais aussi sur ce qui s’est passé en Cisjordanie sous Fayyad et Abbas ?


LK : C’est une situation très grave, parce que les Palestiniens sont toujours sous occupation. Notre peuple est sous siège à Gaza. A Ramallah, l’Autorité Palestinienne n’a aucune souveraineté, ni sur la terre ni sur les frontières. Les Israéliens continuent de confisquer les terres, de démolir les maisons, d’arrêter les gens n’importe quand et n’importe où.


Une division entre Palestiniens, d’un point de vue politique, entrave notre capacité à relever tous ces défis des Israéliens. Nous et d’autres appelons à la réconciliation entre ces deux factions parce que la division ne va pas dans l’intérêt de notre peuple. Elle a affaibli les Palestiniens vis-à-vis d’Israël, et elle a aussi affaibli la solidarité avec les droits humains palestiniens au niveau international.
Nous la considérons comme une catastrophe.


IPS : Pensez-vous que l’élection du Hamas en 2006 lui a donné la légitimité de traiter la contestation à Gaza d’Abbas et de Dahlan et le projet israélien de le renverser ? Chaque bord accuse l’autre de coup d’Etat. Qu’en pensez-vous ?


LK : Nous ne pensons pas que le Hamas ait utilisé sa légitimité de la bonne façon. Ils ont eu la majorité aux élections, mais ils n’auraient pas dû aller jusqu’à résoudre les contradictions entre eux et le Fatah par les armes. Cela n’a rien amélioré pour les Palestiniens. Gaza est toujours sous siège. Et pendant ce temps, ils ont laissé l’Autorité Palestinienne faire ce qu’elle voulait en Cisjordanie.
Ils auraient pu se servir du dialogue et de davantage de discussions sur les différents problèmes, les négociations. Cela aurait montré à la société que nous sommes un peuple démocratique. Dans notre histoire, nous avons toujours eu des divergences, des visions différentes, mais n’avons jamais eu recours aux armes. La contradiction principale est avec l’occupation, pas entre nous.


IPS : Le général U.S. Keith Dayton entraîne une force palestinienne de sécurité qui vise ouvertement le Hamas, mais aussi le Front Populaire. Comment voyez-vous ces contradictions à la lumière de cette situation ?


LK : Le plan Dayton met sur pied un appareil non pas pour défendre notre peuple, mais pour empêcher notre peuple de résister. Ce qui veut dire non seulement l’entraînement, mais aussi la traque de toutes les cellules de la résistance – de toutes les factions, pas seulement le Hamas. Pendant ce temps, tous les jours, Israël entre dans les villes, arrête les gens, les assassine. Au lieu de cela, l’Autorité Palestinienne devrait renforcer ceux qui sont prêts à résister. Malheureusement, c’est l’une des principales contradictions au niveau palestinien : l’Autorité Palestinienne, le gouvernement, ou l’appareil sécuritaire ou la police sont construits selon la vision Dayton, et non au bénéfice de notre peuple.


IPS : Comment voyez-vous la prochaine intifada qui se profile ? Avec le mur encerclant les communautés palestiniennes, avec les forces de sécurité entraînées par Dayton, beaucoup en Cisjordanie voient que toute forme de résistance à Israël se heurte à ce projet. Est-ce la création d’un paradigme où la prochaine intifada serait contre l’Autorité Palestinienne ?


LK : Toute intifada a ses raisons objectives. La situation n’est pas suffisamment mûre pour une troisième intifada, avec toute cette pression contre notre peuple, qu’elle vienne du côté palestinien ou du côté israélien.
Les gens se sont rendus compte qu’après la première et la deuxième intifada, ils avaient fait beaucoup de sacrifices, celui de leurs familles, de leurs maisons, de leurs enfants, qu’ils soient martyrs ou prisonniers. Nous avons actuellement 11.000 prisonniers dans les prisons israéliennes. Derrière eux, il y a 11.000 familles. Je pense que nous devons commencer par mettre fin à cette division. Cela donnera plus de pouvoir à notre peuple. Nous avons vu, au moment de l’invasion de Gaza, que les manifestations étaient réprimées par la police palestinienne, pas par la police israélienne. Je ne pense pourtant pas qu’une intifada soit proche.


IPS : Où en est le Front Populaire en particulier et la gauche en général, en ce moment, en particulier dans la division entre le Hamas et le Fatah ? La gauche est à l’évidence à un de ses niveaux le plus bas dans l’histoire du mouvement national.


LK : Je pense que les Accords d’Oslo ont été un tournant dans la lutte palestinienne. Une partie de notre peuple en Palestine a soutenu les négociations avec les Israéliens. Ils pensaient qu’ils leur apporteraient l’indépendance, un Etat national. Mais après des années (à ne rien obtenir), les gens ont réalisé qu’ils ne leur apportaient rien. C’est la raison pour laquelle la deuxième intifada a éclaté.
La gauche a été affectée par ce qui s’est passé, et elle est affaiblie par ses divisions. Nous avons essayé pendant des années de bâtir un seul front de gauche, pas en tant que parti, mais comme un front avec un programme politique et une résistance unifiés.

Nous avons le sentiment que si nous réussissions, cela créerait une troisième ligne. Dans les médias, on n’entend parler que du Fatah et du Hamas, mais en fait, ce n’est pas comme ça. Et ça affaiblit la situation toute entière.


Au sujet du Front Populaire, il fait face à de nombreux défis. Notre secrétaire général, Abu Ali Mustafa, a été assassiné. Ahmed Sa’adat est en prison. Beaucoup de nos cadres ont été arrêtés. Beaucoup ont été tués par les Israéliens. Des centaines de nos cadres et membres sont en prison. Tout ceci affaiblit le Front Populaire.


IPS : J’ai discuté de cette question avec le secrétaire général Ahmed Sa'adat en 2003. Il m’a parlé d’Israël se servant de l’intifada pour se centrer immédiatement sur le FPLP, pour casser les reins de l’organisation par les assassinats et les arrestations. Non seulement parce qu’il voyait le FPLP comme une menace historique, mais aussi parce qu’il avait été tellement affaibli par le climat politique tout au long des années 1990 – tant localement que globalement.


LK : Abu Ali Mustafa a été assassiné parce qu’il a déclaré que le FPLP était là pour résister et pas pour compromettre nos droits. Ca, les Israéliens l’ont très bien compris. Ce fut la première fois que les Israéliens ont assassiné une personnalité politique comme Abu Ali Mustafa.
Les Israéliens savaient très bien que le FPLP était dans une position de résistance. Qu’il avait son programme de résistance, ce qui signifiait qu’ils n’allaient pas chercher à négocier. Ils savaient que soit en assassinant, soit en arrêtant la direction, ils affaibliraient le FPLP, et ils l’ont fait. Mais nous pouvons aussi nous reconstruire, et nous avons encore beaucoup à faire.
Mais la situation générale n’est pas, elle non plus, avec la résistance – au niveau palestinien, mais surtout au niveau arabe. Ceci affaiblit la situation globale, pas seulement le Front Populaire.

IPS : Je me demande si nous pouvons parler un peu de la trajectoire de la lutte palestinienne armée : quelles sont les possibilités et les limites de la lutte armée, avec le mur et le paradigme du nouveau ghetto ?


LK : En général, les gens trouvent toujours les moyens de résister. Après 1967, nous avons utilisé les détournements d’avion. Puis notre peuple s’est servi des pierres pour exprimer sa résistance, puis ce qu’on appelle les attentats-suicide, qui ont cessé. Puis les roquettes depuis Gaza, parce que les Israéliens sont partis et qu’il y avait de nouveaux espaces, alors qu’en Cisjordanie, elle est réduite au silence.
Vous avez utilisé le terme de « ghetto » - oui, nos villes sont comme des ghettos aujourd’hui. Elles sont encerclées par des colonies, par le mur, à toutes les entrées des villes, nous avons des checkpoints.
Mais les gens trouveront les moyens de leur résistance, auxquels je ne pense pas moi-même. Personne n’avait pensé à une intifada des pierres, que les enfants les utiliseraient eux aussi. Cela a provoqué beaucoup de critiques contre Israël, et davantage de solidarité avec les Palestiniens. Donc, par tous les moyens. Où il y a occupation, il y a toujours résistance. Chaque fois, cette résistance a sa propre forme et ses propres moyens. Je pense que la situation d’accalmie ne durera pas. Notre peuple a une très longue expérience de lutte et ne peut pas accepter que cette situation perdure. Un jour, ça éclatera à nouveau. De quelle manière, je ne peux le dire. Mais ça viendra.
Source: ISM /

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