Quiconque a voyagé en Palestine connaît quasiment par cœur cette phrase cent fois entendue : « Mais pourquoi l’Occident, où s’est produit le génocide des juifs, nous a-t-il imposé de le réparer en cédant la majorité de notre terre, alors que nous n’en portons aucune responsabilité ? »
Confrontée à cette logique populaire, simple mais incontestable, la propagande israélienne exhibe, depuis des décennies, la période durant laquelle le Grand mufti de Jérusalem, Hadj Amine Al-Husseini, collabora activement avec le IIIe Reich comme avec l’Italie fasciste.
Sous le titre La Croix gammée et le turban. La tentation nazie du Grand mufti, Arte consacre à ces événements une émission, mercredi 9 novembre à 20 h 45. Sans préjuger de son contenu, regrettons que les réalisateurs n’aient pas fait appel à notre collaborateur Gilbert Achcar, dont le nouveau livre, Les Arabes et la Shoah. La guerre israélo-arabe des récits (1), constitue une somme sur l’ensemble de cette problématique.
On ne saurait évidemment résumer en quelques lignes plus de cinq cents pages consacrées aux rapports entre le mouvement national arabe, le nazisme et le génocide des années 1930 à nos jours. D’autant qu’elles sont à la fois savantes, riches en références et surtout caractérisées par un sens de la nuance absent de la plupart des ouvrages sur cette thématique.
Quelques idées-forces sur la question du Mufti, auquel Achcar consacre plus de soixante pages, contribueront à informer le téléspectateur et à l’inviter à lire le livre pour en savoir plus. L’auteur éclaire en effet le chemin qui conduisit l’ex-leader palestinien à s’allier à Mussolini et Hitler, au point de constituer en 1942 deux légions SS musulmanes. Composées pour l’essentiel de Bosniasques, celles-ci ne participèrent toutefois pas au « nettoyage ethnique » antijuif des Balkans : elles combattirent surtout les Serbes. A Berlin comme à Rome, les unités palestiniennes proprement dites ne dépassèrent jamais quelques dizaines d’hommes, pour la plupart prisonniers de guerre, contre neuf mille dans la seule armée britannique…
Le mufti a pris fait et cause pour le nazisme, au point d’approuver le judéocide. Ce faisant, il est allé bien plus loin que la logique, certes simpliste, selon laquelle « l’ennemi (allemand) de mon ennemi (britannique) est mon ami ». Et il a ainsi porté un tort considérable à la cause du peuple palestinien, comme en témoigne l’exploitation effrénée par la propagande pro-israélienne de cet épisode de sa vie. Mais il ne fut pas le seul à tisser des relations compromettantes.
Après tout, fin 1940, le Lehi d’Itzhak Shamir, issu d’une scission des Révisionnistes de Zeev Jabotinsky, n’avait-il pas proposé au Reich une alliance stratégique ? Sept ans plus tôt, l’Organisation sioniste mondiale conclut même avec les autorités nazies l’accord dit de la Haavara, grâce auquel plusieurs dizaines de milliers de juifs allemands gagnèrent la Palestine avec une partie de leur capital – mais nul, à l’époque, n’imaginait la Shoah…
Une chose est sûre : la démarche du Mufti et celle du Lehi n’étaient représentatives ni des mouvements nationaux palestinien et arabe dans leur ensemble, ni du mouvement sioniste. Si les juifs de Palestine se rangèrent massivement et naturellement dans le camp des Alliés au cours de la seconde guerre mondiale, le nombre des Arabes qui combattirent dans le même camp et y trouvèrent la mort a été incomparablement plus élevé que le nombre de ceux qui se joignirent aux troupes de l’Axe.
Dominique Vidal
(1) Sindbad, Actes Sud, Arles, 2009.
Source: Le Monde Diplomatique
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